Maroc: Où en est-on de la vocation agricole ?
Des années durant, l’agriculture,
qualifiée de secteur clé de l’économie nationale, faisait que le Maroc
était considéré comme étant un pays à vocation agricole.
Depuis
quelque temps, certaines voix s’élèvent et crient haut et fort à ceux
qui veulent l’entendre que le Maroc est plutôt un pays rural dont
l’activité de la population est essentiellement agricole. Est-ce à dire qu’entre-temps, le Maroc a perdu sa
vocation et par ricochet les lourds investissements et infrastructures
de base qu’il a consentis pour consacrer cette orientation ? D’aucuns n’ignorent que cette assertion prête à nuances et son affirmation n’est nullement dénouée d’intérêt. Sous d’autres cieux, cette idée ou ce revirement d’idées aurait suscité des débats animés voire, houleux. Au Maroc, le temps défile, les concepts se substituent
les uns aux autres sans que cela ne génère la moindre réaction et/ ou
explication. La sécurité alimentaire jette des zones d’ombre sur
l’autosuffisance alimentaire et la fameuse stratégie 2020, censée
pourtant procurer un développement harmonieux et intégré du monde
rural, engloutit le tout et laisse le simple agriculteur ou rural,
comme préfèrent certains, à l’expectative. Ceci pour dire que de stratégie en stratégie, de
concept en concept, le simple homme du terroir perd son cheptel, sa
terre, sa vocation, voire même sa raison d’être. Renvoyer en des termes, ô combien trop savants, le
simple rural à l’horizon 2020, alors qu’il ne sait même pas de quoi son
lendemain sera fait, relève quelque part d’une réelle méconnaissance
des réalités du monde rural. Le simple agriculteur qui, jusqu’à une date récente,
bon an mal an, voyait en le Crédit Agricole son seul et unique allié en
matière de financement, éprouve encore des difficultés à assimiler le
package que celui-ci lui vend moyennant une sorte de reconversion de
ses spéculations. Cette petite "aventure" n’est pas sans lui rappeler
d’anciennes pratiques du Crédit Agricole qui, avant d’octroyer un
quelconque crédit était bien obligé de souscrire aux agriculteurs
éligibles, la célèbre assurance anti-sécheresse. Quoi de plus normal,
le monde rural est dans sa grande majorité sous-capitalisé et les
autres banques commerciales ne veulent pas financer un secteur à
risques. Viabilité de la caisse, diront certains. Vente forcée, diront d’autres. Ceci n’est pas sans nous rappeler le discours de l’un
des récents directeurs de la CNCA qui se prononçait en des termes à
peine voilés :"Si le gouvernement veut soutenir le monde rural et/ ou
éponger les dettes de ses agriculteurs, il n’a qu’à se donner les
moyens de sa politique." Venant d’une institution censée jouer la proximité au
niveau du monde rural, ce message est certes direct, mais a au moins le
mérite d’être franc vis-à-vis de ceux qui, de par leurs attributions,
sont censées décliner la politique des pouvoirs publics en matière de
développement du monde rural. Ceci n’est pas sans nous rappeler, toujours dans le même contexte, bien d’autres anecdotes. Au lendemain du lancement des mesures relatives à une
campagne agricole, une délégation ministérielle est "descendue au
terrain" pour s’enquérir de l’impact de ces mesures sur le moral des
agriculteurs. Grande fut leur surprise quand ils apprirent, et pour
la première fois, de la bouche du responsable de FERTIMA, que quoique
le phosphate est un produit national, les engrais reviennent trop
chers,et ce, pour la simple raison qu’ils sont essentiellement à base
d’azote, un produit importé au prix fort de l’extérieur. Idem, lorsqu’ils apprirent que la baisse des prix de
semences annoncée en tant que mesure incitative au lancement de la
campagne agricole, n’était pas assimilée en tant que telle, mais plutôt
comme une sorte de compensation dans la mesure où la SONACOS a remplacé
les sacs de semences en "toile" par des sacs en plastique. Pour la SONACOS, sans recourir à ces procédés, il
n’aurait jamais été possible, équilibres financiers obligent, de
procéder à la baisse telle qu’annoncée par le département de tutelle à
la veille du lancement de la campagne agricole. Et pourtant, les responsables de l’époque répétaient en
chœur les vertus de la politique volontariste soubassée par une
démarche participative. Depuis beaucoup de choses ont changé, y compris la donne internationale. Entre-temps, l’Europe des 25 a renforcé sa politique
agricole commune et le Maroc a signé un accord de libre-échange avec
les USA. Désormais, c’est en ces termes que doit être redéfinie la vocation agricole du Maroc. Pour rappel, dans une première phase, les USA, en vertu
de cet accord, volet agricole, offrent un délai de grâce au Maroc. Le
temps que les autorités marocaines procèdent à la
restructuration-refonte de leur agriculture. Depuis, le temps presse et les impératifs de mise à niveau bousculent les vieilles habitudes. Pour conserver ses parts de marché, à l’export surtout,
l’agriculture marocaine se doit de faire de considérables efforts de
réadaptation. Les impératifs de la libéralisation pressent aussi. Et
dans de pareilles circonstances, la question qui se pose est de savoir
comment gérer cette période de transition vers une économie plus
ouverte pour aboutir in fine à une sorte d’équité sociale qui prendrait
de manière équilibrée les intérêts des uns et des autres. Partant de là, la concertation, la transparence, la
bonne gouvernance sont autant d’éléments nécessaires à l’aboutissement
d’une telle dynamique. Le pire à craindre est que cette libéralisation
s’accompagne d’une exclusion d’une large frange de la population qui,
de ce fait, se trouverait à la marge et viendrait, à défaut de mesures
compensatoires, gonfler les rangs des citadins déjà oisifs. Est-il
besoin de rappeler à ce niveau, les retombées sociales, tant
douloureuses, de la politique d’ajustement structurel ? Juguler ce genre de retombées, nécessite un certain
nombre de préalables dont, entre autres, un système efficace de prix
(produits et intrants agricoles), des organisations professionnelles
présentes et représentatives, de bonnes infrastructures de base... De l’avis de nombreux spécialistes, le but de toute
stratégie du genre doit non seulement se traduire par une baisse des
coûts de production mais aussi par une amélioration des ressources des
agriculteurs. Laquelle amélioration se répercuterait sur le quotidien
des ruraux et, à terme, aboutirait à une meilleure intégration entre
marché domestique et marché extérieur.
L'Opinion - N. BATIJE