Que signifie pour vous l'organisation d'un Festival de l'art culinaire au Maroc ?
On
veut que la mémoire reste pour faire passer le message : nous avons un
héritage culturel gastronomique très important qu'il faudrait non
seulement garder et apprendre mais savoir l'interpréter. Le premier
jour était consacré aux conférences et à la cuisine ancestrale et
traditionnelle. Le deuxième jour, c'était l'échange avec les grands
chefs qui viennent du monde entier. Il y a l'interprétation des
différentes cuisines.
La cuisine du lien est un thème original. Pourquoi vous l'avez choisi ?
La
cuisine du lien est un sujet qui m'a toujours intéressée. La nourriture
est le dernier lien qui nous reste. Les êtres humains, quand ils
parlent de la politique, se fâchent très vite. Quand on parle d'une
culture en dehors de la culture gastronomique, on s'emporte très vite.
Lorsqu'on est devant un plat, non seulement cela maintient et renforce
les liens, mais en même temps cela construit des ponts.
La
gastronomie est toujours en mouvement. Même si l'on croit qu'on est
traditionnel, on fait des petits gestes et peut-être une pratique qui
n'est pas la même que celle d'hier qui va vers d'autres pays. Les
Marocains aiment de plus en plus, à titre d'exemple, les cuisines
japonaise et italienne.
C'est une ouverture très importante.
Le problème des pays ayant des grandes cuisines, comme le Maroc et la
France, c'est qu'auparavant, ils étaient fermés aux autres cuisines.
Ils vont beaucoup plus vite vers un plat qui vient d'ailleurs que vers
un livre de littérature étrangère. Et c'est le seul art éphémère. Vous
le faites et il est déjà reparti et vous devez encore le recommencer
demain. En le recommençant, vous devez encore inventer, créer et
utiliser d'autres produits qui vont vous rapprocher d'un autre pays ou
d'une autre civilisation.
Pourquoi la cuisine marocaine, malgré sa richesse, reste mal connue dans le monde ?
Elle
est à la mode depuis une dizaine d'années. Elle est connue, mais mal
connue. Les gens connaissent cinq ou six plats (le couscous et deux ou
trois tagines). Ils découvrent la pastilla de plus en plus. Mais, c'est
tout. La cuisine marocaine est beaucoup plus riche que cela. C'est une
cuisine de régions.
On a la cuisine berbère, la cuisine juive,
la cuisine arabo-musulmane, la cuisine de saison… On a aussi les
secrets de famille. Nous-mêmes les Marocains, nous ne connaissons pas
notre cuisine. Chacun connaît la cuisine de sa mère et de sa région.
Que faut-il donc faire pour rehausser l'image de la cuisine marocaine dans le monde?
Je
pense qu'il faut beaucoup travailler. Le problème est que bon nombre de
personnes ne font que copier. Il faut être curieux, s'intéresser et
consigner. On doit écrire et publier. Quand on ne peut pas publier,
on laisse des carnets. Un héritage, s'il ne se fait pas de mère en
fille en racontant les histoires et en apprenant aux enfants, va se
perdre. On sait maintenant lire et écrire.
La plupart des
femmes cuisinent beaucoup moins. Si celles qui savent écrire notent les
recettes des mères, elles peuvent laisser cet héritage à leurs enfants. Même
au niveau des écoles hôtelières, on doit être conscient de l'importance
de cet héritage. Au niveau des écoles hôtelières, il est urgent
qu'elles enseignent la cuisine traditionnelle marocaine. Il faut que la
cuisine internationale, dite des hôtels, soit à la limite un programme,
mais pas tous les programmes. La cuisine internationale doit être
minoritaire. C'est la cuisine traditionnelle marocaine qui doit être
plus présente.
Quel écho avez-vous des deux autres éditions du festival ?
Je
pense que tout travail mérite qu'on l'encourage. On doit féliciter les
organisateurs des festivals passés. Quand on organise un festival, on
sait à quel point c'est un travail difficile. Heureusement qu'on a
organisé ces deux éditions. J'espère qu'il y aura d'autres festivals
prochainement. |