Les Espagnols du Maroc : Histoire d¹une émigration
Je
commence par ces impressions pour aborder le thème des Espagnols du
Maroc puisque pour beaucoup d¹Espagnols du début du siècle passé, ce
pays doré était bien le Maroc.
Les Espagnols qui ont vécu au Maroc durant l¹époque du Protectorat
gardent une vision nostalgique de ce pays merveilleux où ils sont nés
et ont grandi. Le Maroc est ³ce pays qui nous a marqué, duquel nous ne
sortirons jamais, même si nous n¹y retournons jamais², comme le
proclame la devise de la revue de l¹Association des Anciens Résidents
au Maroc, ³La MEDINA². Un Espagnol du Maroc, que j¹ai connu à Madrid il
y a quelques années me disait :
³Le Maroc nous le portons à l¹intérieur de nous-mêmes, nous autres
nous ne sommes pas d¹ici. Moi par exemple je suis de Chaouen, un
véritable Chaouni, mon père est arrivé à Chaouen en 1932 comme postier
avec pour mission d¹ouvrir le premier bureau de poste dans cette ville.
J¹y suis né, j¹y ai grandi et connu ma femme, elle aussi est une
véritable Chaounia. Dans les années soixante les autorités espagnoles
nous ont transféré à Madrid et c¹est ici que nous vivons mais nous ne
nous considérons pas comme madrilènes, pour l¹unique raison que nous ne
sommes pas d¹ici, nous sommes de Chaouen. Nous retournons régulièrement
tous les deux ou trois ans visiter notre ville, pour nous remémorer
notre enfance et revoir nos amis et nos anciens voisins.²
Au Maroc l¹émigration espagnole revêt des caractéristiques
spéciales tant pour la proximité physique que pour sa tradition.
³L¹Espagnol ne se sent jamais étranger au Maroc² affirme Juan
Goytisolo, le fameux écrivain espagnol, qui a élu de vivre au Maroc
depuis plus de trente cinq ans.
C¹est très intéressant d¹observer de près la relation que
maintiennent les Espagnols du Maroc avec ce pays. Ils vivent avec les
souvenirs d¹une vie paisible qu¹ils n¹oublieront jamais. Bien qu¹ils se
sentent pleinement Espagnols, ils ont fini par générer une identité
qu¹ils considèrent très différente de celle des Espagnols
péninsulaires. Une plus grande tolérance, une vision plus large et plus
moderne telles sont les caractéristiques que se font d¹eux-mêmes ces ³
Espagnols marocains². Dans une des nombreuses entrevues réalisées par
Fernando Rodríguez Mediano et Helena de Felipe, certains interviewés
affirmaient que, dans leur manière de penser (mis à part les questions
religieuses), ils se sentaient plus proches des Marocains que du reste
des Espagnols. Ils partageaient avec les péninsulaires la vision
romantique de ce que le monde arabe devait représenter, tamisée par les
références plus proches des Espagnols, qui allaient depuis l¹Alhambra
et autres monuments du patrimoine andalous jusqu¹aux travaux de
maroquinerie typiques de Toledo. Le Maroc était son Oriente le plus
proche.
Personnellement je crois qu¹aborder ce thème en ce moment
particulier des relations hispano-marocaines revêt une grande
importance. L¹expérience coloniale espagnole au Maroc a toujours été
abordée dans ses aspects politiques et militaires, alors que d¹autres
aspects du fait colonial n¹ont pas été suffisamment étudiés, comme ce
fut le cas des relations entre la population espagnole et la société
marocaine. Contrairement à l¹émigration espagnole en Algérie, le thème
de l¹émigration espagnole vers le Maroc n¹a pas été jusqu¹à présent
suffisamment étudié. Le seul travail sur ce thème, oeuvre du conseiller
social de l¹Ambassade d¹Espagne à Rabat durant une bonne partie de la
décennie quatre-vingt, José A. Bocanegra, demeure inédit :
Les Espagnols au Maroc, rédigé en 1988, recompilation de textes
juridiques sur la réglementation maroco-espagnole afférent à
l¹émigration espagnole au Maroc.
Il convient également de signaler que l¹histoire de l¹émigration
espagnole au Maroc garde beaucoup de similitudes avec le phénomène
actuel de l¹émigration marocaine vers l¹Espagne. Les milliers
d¹Espagnols qui traversaient la Méditerranée pour venir s¹installer à
Tétouan, Tanger, Casablanca ou en beaucoup d¹autres villes marocaines,
rêvaient d¹une vie meilleure, espérant trouver travail et richesse. Il
en est de même aujourd¹hui des marocains qui fuient une réalité dure et
difficile, traversent le Détroit, en s¹imaginant que sur l¹autre rive
les attend une vie meilleure, un monde merveilleux : un Eldorado. Pour
cela, je voudrais par ces quelques pages me rapprocher de la réalité de
ces gens qui sont dans leur majorité d¹origine modeste: chômeurs,
paysans sans terre, aventuriers. Presque tous partagent le même rêve:
trouver un travail, fonder une famille et avoir une vie meilleure. Ils
furent plusieurs dizaines de milliers les citoyens espagnols qui
arrivèrent ou naquirent dans ce pays, qu¹ils aimèrent comme si c¹était
le leur. Cette population espagnole se divisait en trois catégories:
- les militaires, très considérés, avec un bon salaire et beaucoup d¹avantages.
« Les militaires ont été à part, une véritable coterie fermée, avec
un casino militaire, un haras militaire, un hôpital militaire, un
balnéaire militaire.
Les militaires faisaient front contre les Moros, contre les
Espagnols, contre tout le monde qui n¹était pas militaire. Nous les
civils étions totalement discriminés »
Selon Sonsoles Vázquez, le Maroc était une authentique féodalité
militaire. Face aux 80.000 civils espagnols, il y avait un contingent
de quelques 100.000 soldats, qui formaient les unités d¹élite de
l¹Armée espagnole. La prépondérance de l¹élément militaire était
ostensible.
- Les fonctionnaires civils de l¹Etat, notamment les
enseignants, médecins, avocats, juges, employés, etc. recevaient
également 150% du salaire. Ils vivaient dans les mêmes quartiers que la
bourgeoisie musulmane ou juive.
- Le reste de leurs autres compatriotes étaient des Espagnols
civils non fonctionnaires qui pour se rendre au Maroc devaient
solliciter un passeport spécial et justifier les raisons du voyage.
Pour demeurer comme résidents ils devaient être propriétaires ou vivre
de leurs revenus. Ils pouvaient également travailler pour autrui,
toujours sous contrats officiels et aux postes de responsabilité
supérieures aux Marocains.
Les Espagnols et les Marocains vivaient fréquemment dans les
mêmes quartiers et parfois dans le même immeuble. En arrivant au Maroc,
les premiers Espagnols vivaient dans les médinas, comme ce fut le à
Tétouan. Mais malgré cette convivialité, il n¹y a pas eu de métissage
entre les deux populations. Les couples mixtes étaient peu nombreux, et
leur majorité était formée d¹hommes marocains et de femmes espagnoles.
Ils étaient en général, mal vus par la société coloniale.
Histoire de l¹émigration espagnole vers l¹Afrique du Nord
Avant d¹être une région d¹émigration, le Maghreb fut une terre
d¹immigration. Depuis le milieu du XIX è jusqu¹à la décolonisation de
l¹Afrique du Nord, des milliers de français, italiens et espagnols (en
majorité andalous ou levantins) allaient et venaient du Maghreb. Entre
1830 y 1962, L¹Algérie fut la colonie la plus importante de France. Le
recensement de 1896, comptabilisa à Oran presque 300.000 européens,
desquels 100.000 étaient espagnols et, 100.000 autres, des espagnols
récemment naturalisés français. En 1960 vivait dans ce pays presque un
million et demi d¹Européens. La communauté espagnole était très
importante. Jusqu¹à la fin de la Guerre Civile espagnole, l¹Oranais fut
la principale destination de l¹émigration levantine, particulièrement
les Alicantins. La relation de l¹Espagne avec l¹Algérie est ancienne.
Le Royaume d¹Aragon maintint des relations commerciales avec l¹Afrique
du Nord et postérieurement, beaucoup morisques, après leur expulsion
d¹Espagne, s¹installèrent dans la zone côtière entre l¹Algérie et la
Tunisie. L¹émigration espagnole en Algérie est un phénomène
relativement ancien en comparaison avec l¹émigration espagnole au
Maroc. Bien que la l¹arrivée des espagnoles dans les villes côtières
algériennes remonte au XV è, c¹est à dire, durant la Reconquête, le
véritable flux migratoire commença avec la conquête française de
l¹Algérie. Dans plusieurs villes de l¹Ouest algérien, le nombre
d¹Espagnols était supérieur à celui des Français. Des 189.994 étrangers
qui vivaient en Algérie en 1892, 112.017 étaient espagnols. L¹Algérie
n¹est pas pour les Espagnols, comme pour les Français, une terre
lointaine. Ils y vont sans aucune appréhension. Les ouvriers endurcis
et sobres pour le travail qu¹envoyèrent les provinces de Valencia,
Alicante et Almeria contribuèrent à l¹expansion de l¹agriculture de la
région, selon A. Fernández Flores (Inspecteur de l¹émigration), dans un
rapport sur la participation des Espagnols à la colonisation de
l¹Algérie. Les autorités du protectorat espagnol au Maroc firent
plusieurs appels aux colons et ouvriers espagnols de l¹Oranais pour
s¹installer dans la zone espagnole, surtout dans la région du Rif
Oriental et contribuèrent à sa colonisation.
Les Espagnols du Maroc
La présence d¹une population espagnole en terre marocaine remonta
aux XVI è et XVII è, bien qu¹en cette époque, il s¹agissait de groupes
réduits de commerçants, installés à Tanger, Larache, Casablanca, Safi,
MogadorŠ . Depuis la seconde moitié du siècle XIX le rythme de
l¹immigration européenne fut croissant. Dans la décade 1850-1860
arrivaient, en premier, les réfugiés politiques français, qui ne
tardèrent pas à être suivis par beaucoup d¹autres, attirés par les
bonnes perspectives économiques. Cet accroissement du flux migratoire
fut soudainement interrompu par la guerre hispano-marocaine de
1859-1860. Les Espagnols récupérèrent vite leur position. En 1870 ils
étaient déjà 60% des étrangers. Après les répressions politiques de
1874 en Espagne et les conflits agraires d¹Andalousie, les Espagnols
furent nombreux à traverser le Détroit: en 1881 ils arrivèrent à
constituer les 70% de la population européenne de Tanger et les 52% de
celle de Casablanca. Mais l¹immigration européenne ne fut, en réalité,
importante qu¹à l¹avènement du protectorat en 1912. Le traité de Fez,
qui consacrait de fait le démembrement du Maroc, détermina la
répartition quantitative et géographique de la population européenne
durant toute la période coloniale. Dans la zone sous protectorat
espagnol, la population étrangère continua d¹être presque exclusivement
espagnole. A partir de cette date, la zone du protectorat espagnol
exerça sur l¹Andalousie et le Levante la même attraction que l¹Amérique
sur Galicia. Un des facteurs fondamentaux de la propagande du courant
africaniste espagnol au Maroc fut d¹encourager l¹émigration de leurs
concitoyens vers le dit pays pour y accroître la influence hispanique.
Le mouvement africaniste fit aussi une grande campagne publicitaire
pour sensibiliser l¹opinion publique vers les intérêts que représentait
le Maroc pour toutes les couches sociales espagnoles : ouvriers,
paysans, commerçant, chômeurs, etc. C¹est ainsi qu¹en 1910 le sénateur
J. M. Labra déclara au Congrès Africaniste de Valencia que le problème
de l¹émigration espagnole vers le Rif n¹a pas été suffisamment étudié,
en particulier sa relation avec le détournement des émigrants qui
partaient pour l¹Amérique et le risque d¹affaiblir l¹influence
espagnole en Amérique Latine. Après l¹établissement du Protectorat, les
appels à l¹émigration vers le Maroc se multiplièrent :
Une grande partie des milliers d¹Espagnols qui émigraient vers
l¹Amérique se dirigeaient au Maroc afin de trouver, probablement en peu
de temps, du travail dans ces exploitations agricoles, et au moins
d¹échapper à l¹enchérissement croissant qui régnait en Europe et en
Amérique.
Ami lecteur, si tu es un homme de volonté affirmée, si tu
possèdes un peu d¹argent et que tu as de solides liens qui te
rattachent à la Péninsule, permets moi de te conseiller l¹émigration à
Tétouan, Azilah, Alcazar-Quivir, etc. Là-bas tu trouveras la richesse
si tu travailles.
Manuel Ferrer Machuca, agent spécial du Centre d¹Expansion
Commercial en Afrique du Nord (Tétouan), propose quelques conseils pour
organiser l¹émigration espagnole vers l¹Afrique du Nord, en général, et
vers le Maroc, en particulier. Pour plus de cohésion, il fallait
coordonner tout ce qui concerne l¹immigration, à la Délégation des
T.P., et notre Haut Commissariat à Tétouan ; devaient être considérés
comme des Annexes pour cette question précise les bureaux des affaires
indigènes, les centres territoriaux et administratifs, les Consulats,
les organismes portuaires, Commanderie des Ingénieurs militaires, les
Municipalités, etc., de la zone, lesquelles devaient avoir l¹obligation
de faire remonter au central toutes les données et rapports pour une
meilleure organisation et fonctionnement de ce service. A son tour, la
dite Délégation maintiendra une communication constante avec les
gouverneurs civils, le Ministère des T.P., les Mairies, au moins avec
celles des grandes capitales du littoral, Consulats d¹Espagne à
l¹étranger, en Algérie très spécialement, Organisme Supérieur de
l¹Emigration, etc.
Les principes fondamentaux qui doivent, entre autres, servir de normes à l¹organisation de ce service, devaient être :
1- Tenir expressément compte, spécialement pour des raisons
politiques, de la priorité d¹attirer vers notre zone du protectorat,
les Algériens d¹origine espagnole et nos nationaux résidant depuis
longtemps en Algérie, vu que beaucoup connaissent la langue arabe et
les coutumes des Musulmans, ce qui leur permettra une meilleure
convivialité que ceux provenant de la Péninsule.
2- Les soldats licenciés de l¹Armée d¹Afrique offrent
indubitablement des avantages, spécialement quand il s¹agit de la
colonisation agricole.
3- Les Compagnies maritimes et ferroviaires devaient accorder des
prix préférentiels pour les ouvriers allant ou retournant d¹Afrique.
4- Tous les ouvriers, artisans et petits industriels qui venaient
s¹installer au Nord du Maroc, devaient être instruits et conseillés par
les autorités militaires et consulaires sur les coutumes indigènes,
leurs préoccupations religieuses et la nécessité de les respecter.
Dans un article du « Telegrama del Rif » du 3 mars 1928, Luis
Benumea, Directeur Général de « Action Sociale et Emigration », livre
ses impressions sur l¹émigration espagnole: ³je ne considère pas
l¹émigration comme un mal nécessaire en Espagne, car j¹estime que notre
pays dispose de moyens suffisants pour subvenir à tous ses habitants.
Ce n¹est que là où la densité de population dépasse les disponibilités
qu¹il convient de chercher dans l¹émigration une soupape de sécurité.
Il y a trois classes d¹émigrants : les aventuriers ou inconscients. Les
calculateurs ou conscients et les inadaptés.²
Les Etapes de l¹émigrationau Maroc
Jusqu¹au début du XX siècle les statistiques espagnoles de
l¹émigration vers le Maroc avaient enregistré des chiffres très bas
tant pour les entrées que pour les sorties, toujours inférieurs à 1.000
individus dans les deux sens. A partir de l¹établissement du
protectorat arrivèrent plusieurs milliers d¹émigrants espagnols. L¹Etat
colonial a trouvé dans la colonie un espace économique qui pourrait
absorber une part de son excédent démographique. Les premiers colons
débarqués furent captés par la colonisation agricole, engagée sur toute
la zone orientale, la plaine de Alhucemas et du Loukkos dans la partie
occidentale du Protectorat; d¹autres trouveront du travail dans les
mines du Rif Oriental. L¹activité en travaux d¹infrastructure et dans
l¹industrie ne démarra que plus tard, durant les années trente, les
offres de travail dans ces secteurs demeurant limitées.
Entre 1913 et 1914, la revue « África Española » publia une série
d¹articles sur l¹émigration espagnole au Maroc, qui révéla l¹importance
de ce phénomène pour l¹Etat colonial. Le problème essentiel résidait
dans la manière de réguler cette émigration pour la rendre contrôlable.
N¹étaient autorisés à entrer au Maroc que les personnes aptes à gagner
leur vie, fermant ainsi la porte aux émigrants indésirables. Pour les
colons espagnols, le Maroc représentait une nouvelle opportunité pour
l¹émigration :
³Là-bas, les colons auront beaucoup d¹avantages, des terres à bon
marché et une maîtrise totale du terrain. Il faut inciter notre ouvrier
agricole à émigrer pour qu¹il ne meurt pas de faim²
Durant la période de la conquête du pays, l¹émigration vers le
Maroc ne fut pas importante. En 1918, à peine 7.000 vivaient dans la
zone occidentale du Protectorat, répartis comme suit: 3.410 à Tétouan,
2.860 à Larache, 580 à Alcazar-Quivir et 460 à Azila. Dans les enclaves
vivaient environ de soixante mille : à Melilla et sa région, 40.000, et
à Sebta, 20.000. Après l¹occupation totale de la zone en1927, le
mouvement migratoire s¹accéléra. Les autorités tentèrent de détourner
vers leur zone l¹émigration espagnole qui se dirigeait vers l¹Algérie.
La Direction de la Colonisation, créée en 1928, se chargea de
préparer une législation relative à l¹émigration. Aussi s¹occupa-t-elle
d¹adapter le code du travail espagnol du 23 août 1926 à la zone du
Protectorat. En même temps, les autorités déployèrent une intense
propagande pour attirer les ouvriers espagnols vers leur zone et tenter
de réduire l¹émigration espagnole et rifaine vers L¹Algérie. En 1931,
pour remédier au sous-emploi dans le nord de Maroc, un décret fut
promulgué, une fois approuvé par les « Cortes », pour réguler
l¹émigration espagnole au Maroc. Étaient considérés émigrants les
adultes des deux sexes qui ont quitté l¹Espagne pour travailler. Tous
devaient se présenter au service de l¹émigration avec un contrat de
travail qui, outre d¹autres pré requis réglementaires, devait inclure
l¹engagement de l¹employeur à rapatrier à ses frais son employé. Le
prix du voyage retour et les frais y afférents devaient être déposés
par l¹employeur dans une banque désignée par le consul d¹Espagne et
être à sa disposition, à l¹exception des entreprises qui offraient des
garanties sous la responsabilité du consul. Le décret ne s¹appliqua que
dans le Protectorat, mais pas dans les enclaves qui n¹étaient pas
considérées comme des lieux d¹émigration.
Le nombre d¹Espagnols qui émigrèrent au Maroc diminua relativement
durant la guerre civile (1936-1939), bien qu¹il se remit à croître au
début des années quarante. En 1940 il y avait 62.400 Espagnols, alors
que en 1950 ils arrivèrent à 84.716. Cette population était urbaine en
sa majorité. Des 62.400 résidents dans la région en 1940, seuls 5.000
(7,3%) vivaient à la campagne, alors que le reste était établi à
Tétouan (35,4%), à Larache (presque 20%) et les autres villes (38,3%).
Ceux installés en milieu rural étaient des gens modestes en contact
étroit et permanent avec les marocains. Grâce aux chiffres officiels du
recensement de 1940 il est possible de connaître l¹origine de cette
population qui provenait de toute l¹Andalousie, principalement de la
zone côtière à l¹exception de Huelva- et, dans une moindre mesure, de
Murcie et des provinces de Alicante et Valencia; du resto du pays,
seuls Madrid, Barcelone et Oviedo contribuaient pour plus de 1.000
individu recensés.
Au début des années cinquante vivaient au Maroc quelque 130.000
Espagnols, parmi lesquels 80.000 dans la zone espagnole et 50.000 dans
la française. A ces chiffres peut s¹ajouter la population espagnole des
deux enclaves, Sebta et Melilla (130.000), et plus de 20.000 à Tanger.
Une décade après l¹indépendance, la colonie espagnole dans tout le
royaume du Maroc s¹est réduite à 44.554 personnes, puis en mars 1970 à
27.829 et seulement 8.460 en 1986.
Les Espagnols de la zone
du protectorat français
A l¹établissement du Protectorat au Maroc en 1912, le principal
contingent d¹Espagnols dans la zone française se concentrait à
Casablanca, avec quelques 4.000 personnes, et était trois fois
inférieur à celui des français. Les Espagnols y constituaient le second
contingent de population européenne, après les français; dépassant les
italiens (3500), les maltais (300) et les allemands (150). A Rabat,
avec à peine 500 individus, ils étaient moins nombreux que les français
et à égalité avec les italiens. Ils constituaient un secteur du
prolétariat employé dans des activités de travaux publics et de
construction, l¹industrie et les services.
En raison de sa proximité avec l¹Oranais algérien, Oujda a
accueilli une importante communauté d¹Espagnols. Il s¹y créa très tôt
une « Casa de España » qui, malgré les difficultés financières pour la
maintenir, joua un rôle important dans la vie sociale et culturelle des
émigrants espagnols. Selon le recensement français de 1921, 2.900
Espagnols vivaient dans cette ville frontière, située entre la zone du
Protectorat espagnol et l¹Algérie, la plupart provenant d¹Alméría,
Alicante et Murcie. Certains arrivaient à Oujda après avoir vécu
quelque temps en Algérie. Des 1.708 Espagnols immatriculés au Consulat
espagnol d¹Oujda en 1927, 320 étaient ouvriers agricoles, 52 mineurs,
161 ouvriers dans la construction, 150 ouvriers dans l¹industrie, 52
commerçants, 2 artistes, un médecin et un pharmacien, d¹autres
professions, 150, et 810 sans profession.
De par son importance comme ville industrielle et centre
économique dynamique, Casablanca a également accueilli une population
espagnole importante, constituée par un secteur du prolétariat associé
à des activités dans les T.P. et la construction, l¹industrie et les
services. Peu après la guerre civile espagnole commença alors l¹exil
républicain vers le Maroc. Casablanca accueillit une grande partie de
ces républicains dont la majorité, après avoir fui les camps de
concentration du sud de la France, embarquèrent au port de Marseille
pour rejoindre Casablanca. Mais l¹exil républicain à Casablanca est
déjà un autre thème que je traiterai sûrement dans une autre livraison.
Par Mimoun AZIZA*
*Professeur d¹histoire contemporaine
Faculté des lettres et des sciences humaines - Université Moulay Ismail de Meknès
(traduction Al Bayane)
Bibliographie
AZIZA Mimoun, 2003, La société rifaine face au Protectorat espagnol au Maroc (1912-1956). Bellaterra Edicion, Barcelona.
Bonmati Antón, J. F. ,1992, ³Espagnoles en el Maghreb, siglos XIX y XX », Madrid.
Fernández Flóres, A. 1929-1930 , ³Argelia y los españoles : estudio
sobre la participación de los españoles en el desenvolvimiento y
progreso de Argelia², Boletín de la Inspección general de Emigración,
Ministerio de Trabajo y Previsión, tomo I.
Fernando Rodríguez Mediano y Helena de Felipe, 2002, El
Protectorado español en Marruecos. Gestión colonia y identidades. CSIC,
Madrid,
Fidu, C.1918, Le problème espagnol au Maroc, París, Société des Etudes Coloniales et Maritimes, 1918.
Gascon, J. ,1916, ³La colonización del Rif y la colonización del interior, Africa Española.
Iñiguez, F. 1913, Por terres de Maroc, Valor agrícola de la zone espagnole, Madrid, Hijos de Reux,
Madariaga, María Rosa, 2000, Espagne y el Rif. Crónica de una historia casi olvidada, Ciudad Autónoma de Melilla.
Miège J. L y Hugues. E 1954, «les Européens à Casablanca au XIX e siècle (1856-1906)». Paris, s.d.
Pezzi, R. , 1893, ³Los presidios menores de Africa y la influencia
española en El Rif², Boletín Real Société Geográfica de Madrid, 1893.
Salafranca, J.F. El sistema colonial español en Africa, Algazara, Málaga, 2001.
Sonsoles Vázquez, 1999, Salam alicum, Hamido! Maroc espagnol (1941-1958), Algazara, Málaga.
Víctor Morales lezcano (Coord), 1993. Présencia cultural de España en el Magreb, Colecciones Mapfre. Madrid.
http://www.albayane.ma/Detail.asp?article_id=57115