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26 avril 2006

Quand les Algériens cartonnent

Pour sa vingtième édition, du 27 avril au 1er mai, le Salon du livre de Genève a mis l’Algérie à l’honneur. Cela tombe bien : ses auteurs enchaînent les succès.

Pour les écrivains algériens de langue française, l’année 2005 aura été celle de la consécration. Assia Djebar, la grande dame franco-algérienne des lettres, a été élue à l’Académie française. À 69 ans, cette intellectuelle des deux rives, née à Cherchell, est devenue la première personnalité maghrébine à être admise au sein de la prestigieuse institution. Poétesse, essayiste, nouvelliste, dramaturge et réalisatrice, elle a écrit ses premiers romans en 1967 (Les Enfants du nouveau monde et Rouge l’aube). On se souvient de ceux qu’elle a publiés à la fin des années 1980 (L’Amour, la Fantasia, Ombre sultane et Loin de Médine), et on a dévoré son dernier, La Femme sans sépulture (2002), magnifique hommage à une héroïne de la guerre d’Algérie dont les enfants n’ont jamais pu enterrer le corps…

Assia Djebar, femme de double culture, a choisi d’écrire en français. Elle explique : « Ayant reçu mon éducation scolaire dans une institution francophone, j’ai étudié le grec et les langues latines, qui constituèrent dès lors une influence majeure dans mon évolution intellectuelle. Malgré cela, mon affect a toujours été directement lié au monde arabe, à ses traditions, tant sociales que culturelles. Je sais aujourd’hui que l’on peut écrire dans une langue étrangère, l’intégrer à notre imaginaire sans pour autant rompre avec ses racines. »

Kateb Yacine parlait déjà en son temps de la langue française comme d’un « butin de guerre ». Une expression que reprend volontiers à son compte la romancière algérienne Maïssa Bey, qui, nourrie de culture française, a fait le choix des mots. Elle écrit en français, car « il est bien plus réaliste de [le] considérer comme un acquis, un bien précieux », dit-elle. Malgré la politique d’arabisation menée en Algérie, le pays compte encore quelque onze millions de francophones.

Écrire en français, c’est ce que font de façon naturelle un grand nombre d’auteurs algériens, et c’est peut-être pour cela qu’ils rencontrent autant de succès en France. Certains sont devenus de vrais chouchous des éditeurs et du public. Parmi eux, Yasmina Khadra, dont les succès en librairie ne se démentent pas. Publiant sous un pseudonyme féminin, Mohamed Moulessehoul est officier supérieur dans l’armée algérienne lorsqu’il s’attelle à l’écriture d’une trilogie policière dont le premier volet, Morituri, paraît en 1997. Sous sa plume naît le commissaire algérien Brahim Llob, personnage attachant, autant que peuvent l’être le détective Pepe Carvalho de Manuel Vazquez Montalban ou le Montalbano d’Andrea Camilleri. Mohamed l’Oranais choisira de révéler son identité en 2001 dans un roman autobiographique, L’Écrivain. Le talent, le goût des phrases ciselées y sont intacts et se retrouvent ensuite dans Les Hirondelles de Kaboul (2002), Cousine K. (2003), La Part du mort (2004) et L’Attentat (2005).

Autre pseudonyme, autre écriture. Maïssa Bey, née en 1950, est hantée par les guerres d’Algérie : celle de l’indépendance, durant laquelle son père, combattant du FLN, trouve la mort et qu’elle raconte dans Entendez-vous dans les montagnes… (2002), et celle de la décennie 1990. « À tous ceux qui me demandent pourquoi j’écris, je réponds tout d’abord qu’aujourd’hui je n’ai plus le choix. Parce que l’écriture est mon ultime rempart, elle me sauve de la déraison, et c’est en cela que je peux parler de l’écriture comme d’une nécessité vitale », précise l’écrivain, connue dans l’Hexagone grâce aux ?coéditions entre Barzakh, à Alger, et L’Aube.

Maïssa Bey fait partie de ces romancières algériennes qui osent parler du désir féminin et de la sexualité. Dans Sous le jasmin la nuit (2004), elle évoque la femme dans tous ses états. Onze nouvelles au style épuré et sensuel, dans lesquelles, parfois, les phrases n’ont pas de fin. Histoires de femmes qui parlent des femmes… et des hommes. « Les hommes vont et viennent tranquillement bardés de certitudes séculaires. Pénétrés de leur force, de leur vérité. Puissance d’homme. Jamais remise en cause. Leurres. »

Pour Christiane Chaulet-Achour, spécialiste de la littérature algérienne de langue française et créatrice de la revue Algérie-Littérature-Action, « la littérature féminine en Algérie est l’expression de tout ce qui a été défait dans la société, dans la famille et en l’individu. Les femmes abordent, généralement, les sujets tabous comme la relation amoureuse dans le couple, la polygamie, l’enfantement, la promotion sociale de la femme ». Il en est ainsi de Leïla Marouane, née en 1960 en Tunisie de parents algériens et qui vit à Paris depuis 1990. Dans La Jeune Fille et la mère (Seuil, 2005), elle livre un tableau sans concession de la condition de la femme algérienne à travers le personnage de Djamila, jeune fille du Sud algérien, étouffée par le poids des traditions. La romancière montre comment les femmes - comme la mère de Djamila -, pourtant victimes de l’idéologie machiste, en sont aussi les premiers défenseurs.

D’autres Algériennes comme Malika Mokkedem et Leïla Sebbar se sont imposées depuis de longues années dans le paysage littéraire français, mais, en novembre 2005, c’est Nina Bouraoui, née d’un père algérien et d’une mère bretonne, qui a été consacrée à 39 ans en obtenant le prix Renaudot pour Mes Mauvaises Pensées (Stock). « J’ai passé les quatorze premières années de ma vie en Algérie, pays dont je ne possédais pas la langue. J’étais une enfant sauvage, réservée, solitaire, et j’ai commencé à écrire sur moi pour compenser cette fuite de la deuxième langue, pour me faire aimer des autres, pour me trouver une place dans ce monde. C’était une forme de quête identitaire. L’écriture, c’est mon vrai pays, le seul dans lequel je vis vraiment, la seule terre que je maîtrise », expliquait-elle récemment dans une interview. Mes Mauvaises Pensées est le neuvième roman de cette plume atypique et volcanique dont La Voyeuse interdite avait déjà été couronnée par le prix du Livre Inter en 1991.

Les écrivains algériens francophones travaillent la langue de Molière, la font et la défont, la mélangent, la bousculent, l’enrichissent, à l’image d’un Mustapha Benfodil à Alger (Les Bavardages du seul, Barzakh, 2003) ou d’un Aziz Chouaki à Paris (Les Oranges, 1998, L’Étoile d’Alger, 2002, Une virée, 2004). Certains écrivent en français et en arabe, comme Rachid Boudjedra ou Amin Zaoui, qui a quitté l’Algérie en 1995 après avoir vu brûler un de ses livres, Le Huitième Ciel, sur une place de Sidi Bel-Abbès. Certains vivent en Algérie, comme Boualem Sansal (Harraga, Gallimard, 2005), d’autres ont choisi la France, comme Abdelkader Djemaï (Le Nez sur la vitre, Le Seuil, 2004) ou Anouar Benmalek, Prix Rachid-Mimouni pour Les Amants désunis (Calmann-Lévy, 1998) et qui vient de sortir un recueil de nouvelles, L’Année de la putain, petits romans et autres nouvelles (Fayard). Certains sont nés en France de parents algériens, comme Azouz Begag ou Mehdi Charef. Ils trempent pourtant leur plume dans l’encre du Sud et de la Méditerranée. Tous ces écrivains créent un passionnant va-et-vient littéraire entre la France et l’Algérie, cette dernière étant terre d’inspiration, de fantasmes, d’imagination, de cristallisation. Chacun nous parle de son pays à sa manière et le fait vivre entre les lignes.

Jeune Afrique

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